Des vêtements neufs qui paraissent usés après les avoir portés seulement quelques fois, un téléphone qui paraît soudainement plus lent après une mise à jour, une laveuse vieille de deux ans nécessitant une réparation coûtant près de la moitié du prix d’un appareil neuf. Toutes ces situations tendent à être associées à des cas d’obsolescence programmée. Si on peut relever plusieurs cas anecdotiques que l’on associe couramment à cette expression, on peut également définir l’obsolescence programmée plus formellement comme « une stratégie de design industriel qui vise à concevoir des produits ayant une durée de vie utile limitée de manière à ce que le produit devienne obsolète, démodé ou non-fonctionnel après un certain temps ».[1] On comprend bien que l’objectif de cette pratique est de générer des profits supplémentaires en incitant à remplacer ses biens plus souvent.

L’obsolescence programmée comme problématique économique et environnementale

L’obsolescence programmée et le phénomène plus général des biens de consommation peu durables ont souvent été critiqués du point de vue économique. En tant qu’acheteur, il est à la fois coûteux et décourageant de devoir remplacer fréquemment des produits qui pourraient pourtant être conçus pour durer. Mais la durabilité des biens affecte plus que le portefeuille; le remplacement rapide de biens a aussi un impact environnemental notable. En fait, on peut voir l’obsolescence programmée comme une sorte de double gaspillage. D’un côté, nous sommes souvent encouragés à disposer d’un bien dont la majorité des composantes sont encore fonctionnelles et dont la production et la mise en marché sont généralement gourmandes en ressources. De l’autre, il est nécessaire de mobiliser encore davantage de ressources pour gérer la fin de vie des produits dont nous nous départissons.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que des secteurs qui sont fréquemment associés à l’obsolescence programmée ou à une faible durabilité se démarquent par des enjeux de production de déchets. On pourra penser, entre autres, aux volumes importants d’appareils électroniques récupérés au Québec dont il est difficile de relever la destination étant donné l’opacité entourant les chaînes de recyclage.[2] Il en est de même des ballots de rejets de la fast fashion qui terminent majoritairement leur vie dans des sites d’enfouissement à l’étranger.[3]

Pistes de solutions

Interdiction

Comment peut-on s’attaquer à ce problème? Une première avenue de solution consiste à tenter d’influencer les pratiques des entreprises par la réglementation. À ce niveau, certaines lois ont carrément interdit le recours à des techniques d’obsolescence programmée. C’est notamment le cas de la France où quiconque serait jugé avoir recours à une méthode d’obsolescence programmée pourrait s’exposer à une peine d’emprisonnement de deux ans et à une amende allant entre 300 000 euros ou 5% du chiffre d’affaires annuel moyen de l’entreprise.[4] Le Québec est d’ailleurs en voie d’emboîter le pas dans cette direction. La loi n°29 qui a été adoptée le 3 octobre 2023 prévoit une interdiction de vente de produits pour lesquels l’obsolescence est programmée. Contrevenir à cette interdiction sera passible de sanctions allant jusqu’à 125 000$ ou à 5% du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise reconnue coupable.

Bien que l’interdiction de l’obsolescence programmée soit tout à fait louable, elle est peu susceptible d’avoir un impact sur les comportements des entreprises qui mettent en marché des biens. En fait, depuis l’entrée en vigueur de la loi française en 2015, et malgré quelques cas de poursuite, aucune entreprise n’a subi de condamnation pour obsolescence programmée. Comme on se doute bien que les recours à cette pratique existent toujours, on est en droit de se demander ce qui peut bien expliquer cette apparente inefficacité de la loi. C’est que la loi française, tout comme la loi n°29 au Québec, s’appuie sur l’intention du fabricant ou du commerçant pour déterminer s’il y a bel et bien lieu de parler d’obsolescence programmée. En d’autres mots, pour qu’un cas d’obsolescence programmée soit puni en vertu de la loi, il faut être en mesure de démontrer que l’accusé a adopté une pratique dans le but explicite de raccourcir la durée de vie utile d’un bien. Or, virtuellement toutes les méthodes d’obsolescence programmée courantes peuvent être déployées en prétextant une raison toute autre (esthétique, par exemple). Il convient donc de se demander quelles autres avenues peuvent être explorées.

Autres outils pour contrer l’obsolescence programmée

Pour les citoyens

En tant que citoyen, il est facile de se sentir dépassé par l’obsolescence programmée ainsi que par l’enjeu plus large des biens de moins en moins durables. Il peut sembler que les producteurs ont la part du lion des leviers d’action face à cet enjeu. Néanmoins, certaines pistes de solutions s’offrent à vous. Une première étape peut être d’apprendre et de faire valoir vos droits. Au Québec, tous les biens achetés chez un commerçant sont automatiquement et gratuitement couverts par une garantie légale. Selon cette garantie, un bien doit pouvoir servir à l’usage auquel il est destiné pour une durée raisonnable, compte tenu du prix payé. Bien qu’il soit difficile de définir exactement en amont à quoi correspond exactement ladite « durée raisonnable », il est possible de consulter des exemples de jugements des petites créances pour obtenir une idée. Équiterre, dans son mémoire sur le projet de loi n°29[5], a également compilé des jugements passés qui permettent d’obtenir une idée de la durée de la garantie légale pour certains grands types de biens :

Tableau: Exemples de jugements des petites créances sur la durée d’application de la garantie légale

Source: Équiterre

La loi n°29 prévoit également une garantie de bon fonctionnement pour certains types de biens. Cette garantie de bon fonctionnement s’additionnerait à la garantie légale existante et sa durée exacte pourrait être définie par règlement à la suite de l’entrée en vigueur de la loi. Rester au courant des dernières nouvelles concernant la mise en place de cette loi vous permettra d’être à l’affut de toute nouvelle protection dont vous pourriez bénéficier.

Une deuxième piste à explorer est de faire appel à des services de réparation. En se renseignant sur la facilité de réparation des biens au moment de l’achat ou en prenant le temps de recenser et de comparer les services de réparations existants lorsqu’un bris survient, on s’assure d’optimiser la durée de vie des biens en notre possession, peu importe la façon dont ils ont été conçus en amont.

Encore une fois, le projet de loi n°29 sera susceptible d’offrir des outils supplémentaires à ce niveau. Effectivement, la version du texte qui a été adoptée prévoit un ensemble de dispositions visant à faciliter l’accès à la réparation pour les consommateurs. On pourra notamment mentionner à cet effet des dispositions visant à assurer :

  • La disponibilité de pièces de rechange pendant une période raisonnable après l’achat;
  • La possibilité de réparer des biens avec des outils conventionnels sans les endommager;
  • La possibilité d’accéder à des pièces et à des services de réparation à un coût qui ne décourage pas la réparation

Tout comme pour la garantie de bon fonctionnement, le fait de rester à jour quant à l’évolution de la loi n°29 vous permettra de bien considérer tous les recours s’offrant à vous en termes de réparation.

Pour les entreprises

Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre l’obsolescence programmée et les biens à faible durabilité. Cette importance de la contribution des fabricants et des commerçants peut sembler une lourde responsabilité, mais elle représente d’abord et surtout une opportunité. En produisant des biens durables et réparables, il est possible de se positionner de manière stratégique dans un marché qui sera amené à évoluer.

Il faut d’abord savoir que les consommateurs ont une préférence marquée pour des produits qu’ils jugent fiables et faciles à réparer. Dans une étude parue en 2018, la Commission européenne relevait qu’un acheteur éventuel serait trois fois plus susceptible d’opter pour un bien se démarquant par sa durabilité et deux fois plus susceptible d’opter pour un produit plus facilement réparable, en assumant que ces informations avaient été fournies au moment de l’achat.[6] Pris autrement, le fait de concevoir et de mettre en vente des biens qui se démarquent quant à ses aspects et en informer les consommateurs constitue un facteur de vente majeur.

Qui plus est la garantie de bon fonctionnement introduite par la loi n°29 représente un incitatif supplémentaire à produire des biens qui seront durables, du moins pour les catégories de biens visées actuellement. Bien que l’on ignore pour l’instant la durée des garanties pour les différents types de produits, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que cette dernière soit plus étendue que celle de la garantie légale existante. Dans cette optique, le fait d’aller au-devant de l’évolution de la durée des garanties légales en concevant des biens durables ou peu coûteux à réparer paraît être une manière pertinente d’éviter de s’exposer à des risques financiers.

Une autre avenue pourrait être de miser sur un service de réparation accessible et abordable. Le marché de la réparation est en déclin depuis plusieurs années au Québec (La Presse, 8 septembre 2023).[7] À cela, il faut ajouter les nouvelles mesures, comme celles de la loi n°29, qui offrent un incitatif supplémentaire à avoir recours à ce type de service. Il y a là une occasion de développer une offre en réparation qui permettra de se différencier par le service après-vente. De plus, étant donné la conjoncture actuelle, il y a lieu à spéculer quant à la possibilité que le gouvernement mette en place des initiatives de développement de l’offre en réparation. Bref, que l’on s’intéresse à la conception des biens ou à leur réparation, il est important de rester à l’affût des développements récents si l’on souhaite demeurer compétitif.