Nous produisons trop de déchets au Québec. Selon le dernier bilan sur la gestion des matières résiduelles, on a observé une augmentation de 3% de la quantité de matières éliminées dans la province entre 2018 et 2021. Ainsi, à l’issue de cette période, le Québec éliminait 716kg de matières résiduelles par habitant, une valeur qui s’éloigne de l’objectif gouvernemental de 525kg par habitant d’ici 2023.

La surproduction de déchets n’est pas qu’impressionnante en termes de poids; elle a toutes sortes d’autres impacts négatifs. Pour n’en mentionner que quelques-uns, on pourra évoquer la perte d’espaces naturels liée à l’enfouissement des matières résiduelles, les risques de contamination des écosystèmes inhérents à toutes les formes d’élimination ou encore les émissions de GES liées au transport des matières résiduelles.

Plusieurs solutions existent pour réduire la quantité de déchets que nous éliminons. Le recyclage et le compostage sont, dans bien des cas, les premières avenues d’action qui nous viennent en tête. En dépit de leur pertinence, ces deux méthodes ne seront pas suffisantes pour nous permettre d’atteindre nos objectifs et de préserver notre environnement. Une composante primordiale, mais trop souvent négligée, de la réduction des déchets est la réduction à la source. Il s’agit d’ailleurs du principe fondamental qui anime la Semaine québécoise de réduction des déchets (SQRD) depuis maintenant plus de 20 ans.

La réduction à la source, c’est l’ensemble des actions que l’on peut mettre en place en amont pour éviter qu’une matière résiduelle soit générée. Ça inclut un ensemble de pratiques qui sont moins visibles pour les citoyens, comme diminuer la quantité de ressources qui sont utilisées pour produire des biens. Mais ça fait aussi appel à plusieurs éléments qui font partie de notre quotidien, comme conserver plus longtemps nos objets ou tout simplement réduire notre consommation. Cette année, nous avons choisi de plonger la tête première dans ce dernier point en mettant en lumière les liens entre notre consommation et notre impact environnemental.

La consommation est un enjeu sensible. La simple idée de modifier nos habitudes d’achat peut amener bien des gens à se braquer. C’est que, dans la plupart des circonstances, la diminution de la consommation coïncide avec une baisse du pouvoir d’achat et un contexte économique moins favorable. [1] Dans ces circonstances, moins consommer est une privation nécessaire et non un choix délibéré. À l’inverse, la réduction à la source nous permet d’entrevoir de nouvelles façons de consommer qui permettent de modifier nos comportements sans pour autant créer une impression de sacrifice.

Un autre enjeu qui contribue probablement à rendre le sujet de la consommation et de l’environnement plus tendu relève du fait que la majorité des Québécois ont déjà l’impression d’avoir adopté des modes de consommation écoresponsables. [2] Pourtant, malgré les efforts déployés par plusieurs, l’empreinte environnementale de notre consommation demeure largement insoutenable. Au Canada, le jour du dépassement (la date à laquelle une population a consommé l’ensemble des ressources par habitant que la Terre peut générer en une année) était le 14 mars en 2024. [3] Cela hissait notre pays au cinquième rang des plus grands consommateurs de ressources au monde. Comment peut-on expliquer l’écart entre notre perception d’habitudes écoresponsables et notre piètre bilan collectif?

Un contexte difficile pour développer de bonnes habitudes

Il faut d’abord considérer notre système économique pris dans son ensemble. Notre société peut être considérée comme ayant un modèle économique linéaire. Ce système s’appuie sur un cycle d’extraction des ressources, d’utilisation des biens et d’élimination des matières résiduelles. [4] Dans cette structure, les entreprises sont incitées à favoriser l’achat fréquent de biens neufs pour maximiser leurs profits. Pour une entreprise, un bien idéal est un bien dont la vente génère un profit, qui peut être utilisé pour la plus courte durée possible tout en satisfaisant le consommateur et qui peut être rapidement remplacé par un bien neuf. Dans ce contexte, un consommateur qui cherche à limiter l’impact environnemental de sa consommation peut se retrouver à nager à contre-courant. Plusieurs exemples de la vie courante peuvent mettre en lumière les difficultés que les consommateurs consciencieux peuvent rencontrer.

Premièrement, il est possible de se retrouver confronté à des situations qui nous poussent à vouloir remplacer des biens plus fréquemment. Les téléphones intelligents sont un cas de figure particulièrement révélateur à ce niveau. Plusieurs entreprises faisant la fabrication et la vente de ces produits œuvrent afin d’assurer un remplacement rapide des appareils qu’ils mettent en marché.

Tout d’abord, plusieurs entreprises mettent en marché des produits qui sont difficilement réparables. Malgré des lois qui ont été mises en place en Europe et au Québec afin de favoriser le droit à la réparation, force est de constater que cette option visant à prolonger la durée de vie des téléphones est délaissée par la plupart des grands producteurs. Au niveau de la conception physique des appareils, il y a une tendance généralisée d’entreprises comme Google ou Samsung à coller et à souder des composantes internes entre elles. [5] Au-delà de l’aspect physique, la réparation peut également être entravée par logiciel. Depuis 2023, Apple met en marché des modèles de téléphones dont les composantes sont plus faciles à changer, mais dont la réparation requiert une certification électronique. [6] Ces pratiques complexifient grandement la réparation, ce qui la rend moins accessible pour les consommateurs.

Ensuite, les entreprises peuvent chercher à favoriser une augmentation de la consommation et un remplacement de biens plus rapide en agissant sur la psychologie des consommateurs. Les sorties annuelles de téléphones cellulaires représentent un cas notable de ce phénomène. Des efforts publicitaires importants sont déployés afin de présenter comme révolutionnaires des améliorations qui se montrent souvent incrémentales dans les faits. Cet effet de mode dopé par les budgets de marketing alimente un taux de remplacement rapide des appareils; en moyenne les gens remplacent leur cellulaire tous les 20 mois, même si celui-ci fonctionne encore. [7] Pourtant, quand on sait que la création d’un téléphone intelligent de 100g requiert l’extraction de près de 30kg de matières premières, il est difficile de réconcilier cette tendance de consommation avec un développement économique soutenable au niveau environnemental. [8]

Les développements récents de l’industrie de la mode offrent un exemple frappant d’un phénomène similaire. Les dernières décennies ont vu une accélération de plus en plus marquée des cycles de modes et, conséquemment, de l’alternance des collections de vêtements chez la plupart des grands vendeurs. Par le déploiement de ces tactiques, les entreprises misent sur le syndrome fomo (de l’anglais “fear of missing out”) en espérant que la crainte de manquer une tendance poussera les clients à effectuer des achats plus fréquents. [9] Résultat : la plupart des vêtements sont portés entre sept et huit fois, trois quarts des vêtements produits sont enfouis ou incinérés, et les entreprises de mode produisent deux fois plus de vêtements aujourd’hui qu’avant l’an 2000. [9] [10] [11]

Bref, il existe une multitude de situations et d’industries au sein desquelles il est de plus en plus difficile de conserver des biens pour une longue durée et ces circonstances sont, en bonne partie, mises en place de façon volontaire par des entreprises qui souhaitent maximiser leurs ventes.

Deuxièmement, il faut ajouter aux pressions déjà évoquées que les consommateurs peuvent fréquemment se retrouver dans des situations où l’éventail de choix offert pour rendre leur consommation soutenable est restreint. Lorsque de tels événements se présentent, il peut être difficile pour les acheteurs de faire valoir leurs préférences sans l’intervention d’un gouvernement ou d’une instance plus large qui est en mesure de changer les règles du jeu.

Un des exemples les plus flagrants de ce phénomène est la prolifération des produits à usage unique. On utilise cette expression pour désigner des objets dont la vocation est d’être utilisée une seule fois avant d’être jetés. On peut souvent rencontrer les produits à usage unique en restauration, et particulièrement en restauration rapide. Dans ces établissements, les assiettes, les pailles, les verres et les ustensiles sont tous éliminés après une seule utilisation dans le but de faciliter les opérations. Ce sont donc des quantités importantes de matières qui doivent être gérées en aval par toute la société pour permettre aux entrepreneurs de faire l’économie de la gestion et du nettoyage d’une vaisselle réutilisable. Toutefois, un consommateur qui s’arrête pour manger à une halte routière aura probablement beaucoup de difficulté à éviter d’utiliser des objets à usage unique durant son repas, même s’il préférerait s’en passer.

La faible disponibilité d’option de consommation responsable affecte aussi des secteurs de grande envergure. Au Québec, le domaine de la construction, de la rénovation et de la démolition (CRD) est un des secteurs affichant les pires performances au niveau de l’élimination des matières résiduelles. Les entrepreneurs œuvrant dans cette industrie doivent gérer de manière privée les matières résiduelles qu’ils génèrent. Dans ce système, par souci de rapidité sur les chantiers et en l’absence d’obligation réglementaire de préserver et de recycler les matériaux, l’élimination des résidus tend à dominer. Dans ce contexte, une personne qui fait appel à une entreprise pour effectuer des travaux sur sa propriété a peu de recours afin de s’assurer que les déchets sont minimisés et qu’ils sont gérés de la manière la plus environnementalement responsable par la suite.

Ainsi, que ce soit en raison de pressions exercées pour inciter à la consommation ou de contextes qui offrent peu d’options de consommation responsable, il peut être difficile pour les citoyens d’avoir un impact sur cet aspect de la réduction des déchets.

Une responsabilité bien réelle

S’il est nécessaire de considérer que les comportements de consommation peuvent être influencés par les pratiques des entreprises, il faut, dans le même souffle, reconnaître le rôle et l’autonomie que peuvent avoir les consommateurs. En dépit d’un contrôle partiel des enjeux de consommation, les citoyens peuvent tout de même avoir un impact positif d’un point de vue environnemental en modifiant leurs habitudes de vie et en choisissant la manière dont ils dépensent leur argent.

Le choix du produit que nous achetons est probablement le premier élément qui vient en tête lorsqu’on veut s’intéresser à l’impact potentiel des consommateurs. Lorsqu’on hésite entre plusieurs objets de nature semblable, tenir compte des retombées environnementales de chaque option peut aider à orienter notre choix. Ces décisions peuvent être prises pour toutes sortes de petits achats du quotidien. Par exemple, en faisant son épicerie, on peut favoriser l’achat d’aliments en vrac plutôt qu’emballés. La sélection d’un produit revêt une importance particulière lorsque l’on fait l’achat d’un bien qu’on anticipe garder longtemps ou dont la production a des conséquences écologiques importantes. Que l’on parle d’appareils électroniques, d’électroménager ou de véhicule (pour ne nommer que ceux-là), le choix d’un objet qui est reconnu pour sa fiabilité et pour sa durabilité ou encore l’achat d’un bien usagé plutôt que neuf peut avoir des ramifications importantes.

Le contrôle que nous exerçons sur nos dépenses va toutefois plus loin que le choix du bien qui nous convient le mieux. Les consommateurs peuvent avoir une importance majeure en choisissant à quels moments et dans quels contextes ils ont recours à l’achat. Dans plusieurs cas, d’autres modes de consommation peuvent se montrer plus adaptés. Des options qui misent sur la location ou l’emprunt sont généralement plus adaptées pour des biens dont on fait un usage occasionnel. Un exemple souvent repris est celui des perceuses qui sont, en moyenne, utilisées 10 minutes sur toute leur durée de vie. [12] Pour cet usage, ou pour des cas comparables, des initiatives comme les bibliothèques municipales, les bibliothèques d’outils communautaires ou des applications comme PartageClub sont des alternatives nettement plus appropriées que l’achat.

Source: Partage.club

Au-delà de l’endroit où nous choisissons de dépenser notre argent, une seconde catégorie de choix accessible à tous consiste à modifier ses habitudes de vie de façon plus large afin de minimiser le recours à la consommation. Les entreprises, notre modèle économique et notre culture nous poussent à entrevoir la consommation comme la manière la plus simple de répondre à nos besoins et de régler nos problèmes. Néanmoins, dans de nombreuses situations, des manières de procéder plus simples et plus efficaces existent.

D’ailleurs, pas besoin de changer sa vie de fond en comble pour avoir un meilleur rapport à la consommation! Une première étape peut consister à simplement prendre soin de ce qu’on a déjà. En entretenant et en réparant les objets du quotidien, on s’assure qu’on pourra les utiliser plus longtemps. Ce faisant, on amortit le coût initial du bien d’un point de vue financier, mais aussi son impact au niveau environnemental. Nettoyer les zones critiques sur ses appareils électroniques et électroménagers, faire sécher des vêtements à l’air libre plutôt qu’à la sécheuse ou encore entretenir régulièrement un vélo ou une voiture sont toutes des façons de prévenir des bris prématurés de nos possessions.

Dans la même optique, favoriser le recours à la réparation plutôt qu’au remplacement des biens peut s’avérer utile. La réparation peut s’avérer coûteuse lorsque des biens sont très usés ou qu’ils n’ont pas été conçus pour être facilement réparables. Ainsi qu’on parle d’appareils électroniques ou d’électroménagers, le fait de magasiner un bien en fonction de sa durabilité, de sa fiabilité et de sa réparabilité permet d’éviter de le jeter parce qu’une réparation est insensée d’un point de vue financier. S’ils sont adéquatement conçus et de bonne qualité, la durée de vie de nos possessions peut être décuplée pour des sommes relativement modiques. Ce constat s’applique d’ailleurs à plus qu’aux électroménagers et aux appareils électroniques; des souliers et des bottes de bonne confection peuvent être facilement réparés par un cordonnier, par exemple. Pour résumer, tant par le choix des objets que nous achetons que par la façon dont nous traitons nos biens, nous avons la capacité, à l’échelle individuelle, de consommer mieux.

Mais la façon la plus efficace d’agir reste de remettre notre propension à consommer en question. Un adage qui a été maintes fois répété, mais qui n’en est pas moins utile, consiste à se demander “ en ai-je vraiment besoin” ? L’idée fondamentale ici est de nous amener à mieux distinguer nos désirs de nos besoins. Ce faisant, on évite une consommation inutile qui est susceptible de nous procurer peu de plaisir en comparaison de ses retombées négatives. L’idée n’est pas de se priver ou de mener une vie sans plaisir, mais plutôt de considérer avec plus de soin les habitudes de consommation que nous entretenons et de considérer nos désirs sans se laisser mener par eux.

Plusieurs stratégies peuvent être mises en place à ce niveau. Une des plus simples consiste à simplement retarder les achats qui ne sont pas essentiels de quelques jours, de quelques semaines, voire de quelques mois selon l’ampleur de la dépense. Dans bien des cas, cette durée suffit pour départager les désirs passagers des produits qui ont une réelle valeur à nos yeux. D’ailleurs, pour ce qui est de ces derniers, l’attente ne représente pas non plus une perte. Des études ont montré que le plaisir associé à un achat est maximisé dans les moments qui précèdent celui-ci. [13] Ainsi, une simple période d’attente peut permettre d’éviter des achats inutiles et de profiter au maximum de ceux que nous effectuons. Il ne s’agit que d’une tactique parmi d’autres, mais elle permet de mettre en lumière la manière dont consommer moins n’équivaut pas à souffrir davantage.

Des idées pour le reste de votre Semaine

Que peut-on retenir de toutes ces informations? Sans s’enfarger dans les exemples, on constate que l’on produit trop de déchets au Québec et qu’une manière importante et sous-estimée de réduire cette tendance est de limiter notre consommation. Un tel mouvement peut être difficile à effectuer pour les citoyens, notamment parce que de nombreuses forces qui nous sont externes nous incitent à la surconsommation. Néanmoins, tout en étant conscient de ces pressions, il faut aussi réaffirmer la possibilité qu’ont les citoyens de jouer un rôle important dans la réduction de la consommation. Nous résumons ce qui nous semble être l’attitude la plus productive à ce niveau à l’aide du slogan de la Semaine québécoise de réduction des déchets pour 2024 : consommer moins, mais mieux.

Mais la réflexion ne s’arrête pas là! Suivez-nous pour découvrir les nouveautés de cette édition de la SQRD. En plus de nombreux événements, nous vous proposerons un article sur une nouvelle thématique en lien avec la consommation durable chaque jour de la Semaine.