L’achat en ligne s’est graduellement imposé comme un incontournable de la consommation au cours des dernières décennies. L’ampleur actuelle du commerce en ligne est toutefois un phénomène très récent. Alors que les ventes en ligne représentaient moins de 1% du commerce au détail aux États-Unis en l’an 2000, cette proportion atteignait plus de 15% en 2023. [1]

On peut notamment attribuer l’augmentation des achats en ligne à différentes vagues d’innovation. La possibilité pour le consommateur moyen d’acheter des produits en ligne commence à se déployer dans les années 90 avec, entre autres, la création d’eBay et Amazon en 1995. Durant les années 2000, certains grands détaillants ont emboîté le pas en commençant à offrir des options d’achat en ligne. Puis, dans les années 2010, l’avènement des téléphones intelligents, de l’internet haute vitesse et des réseaux sociaux a modifié notre rapport au web. Finalement, en 2020, c’est 17,8 milliards de dollars qui ont été dépensés par des achats en ligne faits par des adultes québécois. En 2023, 74 % des adultes québécois ont réalisé des achats en ligne, une augmentation de 16% par rapport à 2017. [2]

L’importance croissante que revêt actuellement la consommation en ligne force à s’interroger sur son impact environnemental. Le contact virtuel plutôt que physique du client avec l’expérience d’achat peut donner l’impression que les problématiques sont moindres comparativement à l’achat en personne. Néanmoins, la consommation en ligne pose plusieurs enjeux qui lui sont propres et qui doivent être considérés si nous voulons réduire notre production de déchets et notre impact sur la planète.

Un consommation nouvelle qui engendre des problèmes inédits

Un premier impact à considérer est l’emballage supplémentaire généré par les achats en ligne. Le commerce contemporain repose sur des quantités importantes d’emballages. Certains d’entre eux sont nécessaires; ils peuvent faciliter le transport de grandes quantités de produits ou, plus simplement, aider à manipuler les produits liquides. On parle, à l’inverse, de suremballage pour désigner des emballages qui sont excessifs en ce sens qu’ils ont peu de valeur pour la protection, le transport ou l’entreposage. Cette tendance est notamment exacerbée au cours des dernières années en raison de la réduflation qui touche certains produits.

D’une part, le suremballage représente un gaspillage de ressources. Ce ne sont pas que les matières composant l’emballage qui sont utilisées en vain, mais aussi toute l’énergie qui a été nécessaire à sa transformation et à son transport. D’autre part, le suremballage exacerbe les problématiques de gestion des matières résiduelles en générant de nombreux objets dont la vocation est de devenir des déchets à très court terme.

L’achat en ligne induit un suremballage en ajoutant une étape de transport pour lesquels les produits n’ont souvent pas été conçus. La plupart des biens de consommation que nous achetons sur le web sont d’abord et avant tout conçus pour être vendus en magasin. Cela implique, d’abord, qu’il faut presque systématiquement ajouter un emballage supplémentaire pour effectuer la livraison du produit chez l’acheteur. Cet emballage de livraison est souvent beaucoup plus grand que le produit et son emballage initial. On estime ainsi qu’un produit acheté en ligne générera quatre fois et demie la quantité d’emballage d’un bien acheté en personne. [3]

Ensuite, il faut ajouter que, comme l’emballage du produit a été pensé en fonction de sa vente en magasin, il présente souvent des caractéristiques qui seront inutiles pour la livraison à domicile. Ce sont donc des ressources additionnelles qui sont gaspillées ainsi.

Une seconde problématique à considérer lorsqu’on s’intéresse à l’achat en ligne concerne la gestion des retours. De plus en plus de plateformes de commerce en ligne ont des politiques de retour gratuit. Ces modèles d’affaires incitent des clients indécis à acheter un produit en leur offrant l’option de le retourner s’il ne leur convient pas en fin de compte. Cette pratique est particulièrement prévalente dans le cas des vêtements et des accessoires. Comme il est difficile de dire si un morceau convient à son style et à sa physionomie uniquement en se fiant à des images et à un guide de tailles, plusieurs consommateurs optent pour une forme d’essayage par livraison. En gros, on achète plusieurs tailles d’un même vêtement et l’on ne garde que ce qui fait. [4]

On peut raisonnablement imaginer que, lorsqu’un produit acheté en ligne est retourné, il est simplement remis en vente sur le même site. L’impact environnemental de la démarche se limite donc au transport des marchandises. Bien que ce dernier impact soit loin d’être négligeable, il n’est malheureusement pas le seul qui doit être considéré. En effet, pour des raisons de simplification logistique, plusieurs grandes plateformes de vente sur le web préfèrent reléguer leurs retours à l’aval de la chaîne de valeur, soit au recyclage ou à l’élimination.

Il est difficile d’avancer des chiffres exacts sur les résultats de ces pratiques. Les estimations existantes sont néanmoins consternantes. En 2020, on estimait que 30% à 40% des achats effectués en ligne sont retournés, une valeur de loin supérieure aux 10% de produits retournés dans les magasins ayant pignon sur rue. [4] Qui plus est, même si on estime que seulement 20% des produits retournés sont défectueux, ce sont près de 2,5 millions de tonnes de produits retournés qui se retrouvent annuellement à l’enfouissement aux États-Unis seulement. [5] Pour résumer, le modèle de retours faciles promus par la consommation en ligne conduit à une surproduction de déchets issue de biens qui sont souvent encore en bon état.

Un dernier élément à reconnaître lorsqu’on fait le tour des impacts environnementaux de la consommation en ligne est la manière dont le web lui-même est structuré de façon à favoriser la consommation, voire la surconsommation. La facilité d’effectuer un achat est un premier exemple criant de ce phénomène. Pour acheter en magasin, il est nécessaire de se déplacer, de comparer les produits disponibles sur place en espérant en trouver un qui convient à nos besoins, de visiter d’autres magasins pour comparer les articles disponibles, de payer, puis de revenir chez soi. Pour effectuer un achat sur Internet, il suffit de quelques clics et d’attendre que l’article souhaité arrive jusqu’à soi. La quasi-instantanéité du passage de désir à achat fait en sorte qu’il est facile de commander des produits dont on n’a pas réellement besoin ou qui relèvent simplement d’une envie passagère qui se sera estompée d’ici à ce que le produit se rende à nous.

Cette élimination de barrières à la consommation va plus loin; elle est imbriquée dans la façon dont nous interagissons avec tout ce qui se trouve en ligne. Les mesures incitant à acheter sont omniprésentes sur Internet. On pourra citer en exemple les publicités qui sont placardées sur des sites à vocations variées, qu’elles soient avant des vidéos, sur les réseaux sociaux ou sur un site de recettes. Au-delà de ces formes de publicités classiques, les entreprises misent de plus en plus sur l’intégration de leur produit à la relation parasociale entretenue entre les influenceurs ou les créateurs de contenu web et leur public. À la différence des publicités diffusées à la télévision, par exemple, le fossé entre le marketing et l’achat est considérablement réduit sur la toile.

Toutes ces nouvelles réalités agissent de concert pour faire d’Internet un lieu propice à une consommation accélérée et de plus grande envergure. Ces tendances font en sorte qu’il peut être difficile d’avoir des habitudes de consommation en ligne qui sont aussi écoresponsables.

Des risques, mais aussi des opportunités

En dépit des effets néfastes de l’achat en ligne, il est possible de mobiliser ce nouveau mode de consommation à bon escient. De façon générale, il semble que l’élimination d’obstacles qui caractérisent la consommation en personne peut aussi nous donner des outils pour orienter nos habitudes d’achat afin qu’ils soient plus respectueux de l’environnement. Prenons quelques exemples.

En premier lieu, avec l’abondance d’information qui circule sur Internet, il est plus facile que jamais de se renseigner sur les qualités d’un produit avant de l’acheter. En intégrant des informations sur la durabilité des produits, sur leur réparabilité ou sur les pratiques environnementales des manufacturiers dans nos recherches, il est possible d’effectuer un choix plus éclairé. En privilégiant un modèle plus durable que ses alternatives, par exemple, on s’assure de minimiser l’impact environnemental du remplacement de nos biens et on en profite pour faire un choix qui risque de se montrer moins dispendieux à long terme. Cette même démarche peut également permettre de dénicher des biens produits dans notre région, ce qui nous permet de minimiser l’impact du transport et de favoriser des échanges plus équitables.

Il faut néanmoins rester vigilant. Pour tirer profit de l’abondance d’information à notre portée, il faut s’assurer de la fiabilité de nos sources. Il est donc préférable d’éviter d’accorder trop de poids aux expériences d’influenceurs qui sont payés pour promouvoir un produit. Il est également souhaitable de s’appuyer sur des utilisateurs ou sur des sites d’évaluations indépendants. Par exemple, si l’on veut comparer la réparabilité de biens, on peut se référer à la plateforme de l’indice de réparabilité français ou à des sites comme iFixit.

Il est également important de s’assurer d’effectuer notre recherche d’information au sein d’une démarche d’achat réfléchie. Se renseigner sur la qualité d’un produit dont on n’a pas besoin ou pour lequel on a une utilité limitée n’en fera pas un achat plus durable. Il faut également être capable d’isoler la durabilité d’un produit de ses autres caractéristiques pour s’assurer de maintenir ce critère en priorité. Une tactique qui peut être déployée ici consiste à exclure d’emblée les produits qui sont moins intéressants d’un point de vue environnemental et à effectuer son choix parmi les options restantes.

En second lieu, la consommation en ligne offre un accès à des produits susceptibles de nous aider à réduire nos déchets sur lesquels il aurait pu être difficile de mettre la main par le passé. Il est plus facile que jamais de dénicher des composantes pour un appareil brisé si vous souhaitez effectuer une réparation par vous-même. De plus, de nombreuses plateformes web permettent de faciliter les achats de produits usagés, que les échanges se fassent par le biais d’un organisme ou sur une base individuelle. Le commerce en ligne a donc le potentiel d’être particulièrement bénéfique pour le réemploi dans la mesure où ce secteur organise l’échange de biens diversifiés pour lesquels l’offre et la demande sont ponctuelles.

Quelques conseils pour une consommation durable sur le web

Plusieurs stratégies peuvent nous aider à adapter nos modes de vie afin d’éviter les pièges et de profiter des opportunités soulevées par la consommation en ligne. Un premier moyen d’action est de limiter son exposition à la publicité. L’étape la plus facile à mettre en place à ce niveau consiste à installer un bloqueur de publicité sur ses appareils.

Mais, comme on le sait, la publicité sur le web a évolué; les agences de marketing misent de plus en plus sur la perméation de leurs produits auprès de créateurs de contenus et de communautés qui génèrent de nouvelles ventes d’une manière simulant le bouche-à-oreille. Face à cette évolution, il est avisé de faire attention à son « cocktail » de contenu numérique. Pour commencer, il faut examiner de manière critique le contenu que nous consommons en ligne. Il suffit ensuite de prioriser nos interactions avec ce qui nous pousse vers de meilleures habitudes de consommation tout en excluant ce qui nous amène à surconsommer. On peut, par exemple, se questionner sur les contenus qui sont axés spécifiquement sur le magasinage, comme les shopping hauls ou le contenu de déballage (unboxing). Il peut également être pertinent de remettre en cause son activité dans des communautés en ligne dont la principale fonction est de promouvoir l’achat d’une catégorie de biens (p. ex. des forums axés sur l’achat de figurines ou de souliers). Finalement, un bon ménage dans les infolettres auxquelles on est abonné peut nous éviter d’être constamment sollicité pour effectuer de nouveaux achats.

Pour terminer, une dernière habitude à prendre est d’identifier les situations pour lesquelles l’achat en ligne peut être déployé de manière écoresponsable pour répondre à nos besoins. Pour reprendre un cas évoqué plus haut, si on n’est pas certain de la taille d’une pièce de vêtement au moment d’acheter en ligne, il est peut-être mieux d’opter pour l’achat en boutique. À l’inverse, si on veut s’acheter un nouveau téléviseur, peut-être que de repérer un article usagé en ligne est une avenue plus prometteuse. Pris simplement, le plus important, que l’on s’intéresse à la consommation en ligne ou à toute autre forme d’achat, est de prendre le temps de réfléchir avant d’agir.