Pour la 25e édition de la Semaine québécoise de réduction des déchets, nous voulions mettre en lumière le travail de personnes qui font une différence en promouvant la réduction à la source dans leur milieu. Pour amorcer cette nouvelle série de publications, nous vous offrons de plonger dans la réalité de Jenel Desgroseilliers. Jenel est enseignante et responsable du développement durable à l’école primaire Guy-Drummond. Son école a d’ailleurs gagné le Bourse Michel Séguin en 2024 pour son projet d’échange de costumes d’Halloween. Apprenez-en plus sur la réalité de Jenel et découvrez ses conseils pour stimuler l’engagement pro-environnemental dans votre milieu!

SQRD : Bonjour Jenel et merci de prendre le temps de discuter avec nous! Pour commencer, pourrais-tu nous présenter ton parcours? Comment en es-tu venu à occuper le poste responsable du développement durable dans ton école?

Jenel : Bonjour! J’ai gradué en enseignement il y a 20 ans. J’ai une maîtrise en administration scolaire et un certificat en arts visuels. J’ai passé la majeure partie de ma carrière à l’école Guy-Drummond, qui est une école à vocation internationale; dans une école internationale, l’élève évolue dans une approche transversale qui intègre des notions d’éco-responsabilité.

Pour ce qui est de mon intérêt pour le poste de responsable du développement durable, je pense que la culture de l’école a teinté ma façon de faire de la pédagogie et d’engager les élèves dans l’action. C’est donc un poste qui concordait d’emblée avec mes valeurs. De manière plus générale, je suis aussi une personne qui est à la recherche de défis et qui lève souvent la main.

On m’a également déjà décrit comme une «éco-citoyenne flexible»; je veux transmettre mon amour de l’environnement, de la nature et de la planète et je veux promouvoir des gestes éco-responsables, mais j’évite de tomber dans le jugement et dans la culpabilisation; j’essaie de comprendre et de sympathiser avec les personnes auxquelles je m’adresse en me disant que chacun fait de son mieux à sa mesure. Plus que de la sensibilisation, je veux être dans l’accompagnement.

SQRD : Tu mentionnais que tu es à la recherche de défis et que tu lèves souvent la main pour des projets comme ce que tu mènes en environnement à l’école Guy-Drummond. C’est quelque chose que tu sembles trouver stimulant, mais est-ce aussi épuisant?

Jenel : C’est certain que des fois je me mords un peu les doigts; c’est beaucoup de travail. Aussi, comme j’ai tendance à vouloir m’engager dans une plusieurs projets à la fois, il m’arrive de devoir faire des choix dans ce que je souhaite prioriser. Je dirais quand même que j’ai deux grands avantages qui facilitent mon travail.

Premièrement, ma charge d’enseignement est légèrement réduite pour me laisser du temps pour me consacrer à mon poste de responsable du développement durable. Le temps prévu n’est pas suffisant pour faire toutes les tâches associées au poste, mais cette reconnaissance aide quand même énormément pour coordonner les différents projets que nous mettons en place. C’est vraiment un des points par rapport auquel je me sens privilégiée parce que cette reconnaissance n’est pas nécessairement accordée dans tous les milieux scolaires.

Deuxièmement, j’ai plusieurs enseignants qui collaborent avec moi, donc je ne me sens vraiment pas seule face à mon mandat. À ce niveau, je m’estime chanceuse d’être dans un endroit où les gens sont véritablement motivés. Je pense que le type de milieu de travail qu’on propose attire des personnalités qui sont similaires à la mienne pour ce qui est de « lever la main ».

SQRD : Justement, peux-tu nous en dire un peu plus sur la relation que tu as avec les autres membres du personnel dans le contexte de la réalisation de ton mandat en développement durable? On comprend que ça se passe généralement bien, mais est-ce qu’il y a des freins à leur engagement parfois?

Jenel : Effectivement, ça se passe très bien! C’est facile pour moi de mobiliser les gens autour de projets. Par exemple, dans le cadre du concours d’échange de costumes pour lequel nous avons gagné la bourse Michel Séguin, nous avons réalisé le projet avec une seule classe pour faciliter la logistique pour une première édition. Toutefois, dans les phases initiales de mise en branle du projet, j’avais plusieurs enseignants qui avaient envie de participer et de s’impliquer avec leur classe. On a également mis sur pied un marché écolo pour lequel la moitié des classes de l’école ont préparé des kiosques.

Et cet engouement ne se limite pas aux enseignants. J’ai une collègue orthopédagogue qui a investi énormément de temps et d’effort dans le développement d’un potager sur le terrain de l’école. Je peux aussi compter sur la direction qui, avec le soutien de notre comité vert, a mené la révision de notre politique de gestion des matières résiduelles. Bref, c’est vraiment tout le milieu qui est mobilisé et prêt à passer à l’action.

Pour ce qui est des freins, un des problèmes qu’on peut rencontrer vient paradoxalement du fait que j’évolue dans un milieu de personnes prêtes à s’engager. On se retrouve parfois avec des gens qui se sont trop souvent porté volontaires pour porter des projets ou des initiatives et qui ne se sentent plus capables d’investir toute l’énergie nécessaire pour les mener à bien.

SQRD : Donc, en général, les gens sont mobilisés et prêts à participer. Est-ce que tu dirais qu’il manque juste l’étincelle pour entamer le passage à l’action?

Jenel : On pourrait parler d’une étincelle, mais je pense que je dirais plus qu’il faut quelqu’un pour coordonner les efforts. Je donne un exemple : pour notre projet d’échange de costumes, ça prenait quelqu’un pour organiser le local, faire le tri des costumes, s’assurer que tout était propre, et ainsi de suite. Les profs veulent participer, mais ils ne peuvent pas laisser leur groupe seul pour faire ces tâches-là. Donc, ça nous prenait quelqu’un qui était en mesure d’assurer la mise en place de toutes ces petites étapes qui sont essentielles pour mener à bien un projet.

Même au-delà de la coordination le jour-même, il est utile d’avoir quelqu’un qui peut mettre en place des éléments permettant d’améliorer les projets en cours. Pour garder l’exemple de l’échange des costumes d’Halloween, en faisant notre première édition, on s’est rendu compte que les plus grands amenaient des costumes à échanger, mais qu’il n’y avait pas de costumes pour eux et qu’ils repartaient les mains vides. Pour essayer de régler ce problème, je suis actuellement en discussion avec une école secondaire à proximité pour essayer d’avoir des dons d’élèves là-bas.

SQRD : Et au-delà de la relation avec les autres membres du personnel, est-ce que tu observes d’autres freins potentiels pour le développement de projets?

Jenel : J’ajouterais qu’un des freins est le financement stable des activités. Je pense à deux projets que nous menons qui nécessitent des campagnes de financement annuelles afin d’assurer leur pérennité : notre potager et, plus récemment, notre marché écolo. Le marché écolo est un événement où les enfants peuvent offrir des biens qu’ils ont confectionnés eux-mêmes. L’objectif est de développer l’esprit entrepreneurial, mais surtout, de cultiver les habiletés des enfants à fabriquer des choses au lieu de les acheter. Donc, certaines classes vont offrir, par exemple, des produits nettoyants qu’ils ont conçus à partir d’ingrédients naturels, des insecticides non nocifs pour l’environnement, des décorations en origami, et ainsi de suite. Nous avons fait une première édition et ça a été un grand succès!

Pour le financement, plusieurs organismes offrent des bourses avec une reddition de compte exigeante. Comme les projets se créent et se vivent souvent dans les écoles sur du temps personnel des enseignants, cette lourdeur qui s’ajoute peut être très démotivante. La bourse Michel Séguin était intéressante pour nous à ce niveau; nous avons utilisé la bourse pour financer la première année de notre marché écolo. Les fonds ont été bien utilisés, mais je n’ai pas eu à rédiger des rapports d’activité et à remettre toutes nos factures

SQRD : Tu mentionnais un peu plus tôt que vous avez eu l’appui de la direction pour revoir la politique de gestion des matières résiduelles de l’école. Est-ce que tu peux nous en dire davantage sur les changements qui ont été apportés?

Jenel : Certainement! En fait, le principal changement que nous avons mis en place relevaient d’un constat important qui s’est imposé au fil des années. Nous avons réalisé que, malgré nos efforts d’éducation et de sensibilisation auprès de nos élèves, ils n’arrivaient pas vraiment à effectuer un bon tri des matières. La performance n’était pas non plus la même d’une classe à l’autre.

Concrètement, on pourrait donner l’exemple de situations auxquelles nous avions à faire face avec nos bacs de récupération. Il faut savoir que nous récupérons du papier et du carton en très grande majorité. Il suffisait, donc, qu’un enfant mette, disons, un contenant de yogourt à boire qui contient encore du liquide pour contaminer tout notre lot de matières recyclables.

Nous avions longtemps hésité, mais nous avons finalement décrété que tous les emballages alimentaires qui étaient amenés à l’école pour les collations pour les repas allaient être retournés à la maison.

SQRD : C’est une mesure très intéressante, mais qui semble demander un changement d’habitude important pour les parents, non? Est-ce qu’il y a eu une forme de résistance ou d’opposition à ce niveau?

Jenel : Heureusement, on a pas vraiment fait face à ce genre de problématique. Il faut dire qu’on a procédé par étapes. On a d’abord tenté l’expérience dans des classes pilotes. On voulait voir s’il y aurait des retours négatifs de parents qui retrouvent des emballages souillés qui ont sali toute la boîte à lunch. On a aussi pris le temps d’expliquer aux parents pourquoi on faisait cette démarche et en quoi elle concordait avec les valeurs dont l’école fait déjà la promotion. Finalement, quand on a déployé la mesure à l’ensemble de l’établissement, on n’a pas vraiment eu de réaction des parents. Même que, quand on a présenté la politique au conseil d’établissement, les parents qui siégeaient sur le comité étaient plutôt enthousiastes.

Et pour revenir sur le changement d’habitude, c’est certain que la politique demande des ajustements au niveau de la gestion des emballages, mais on s’attendait aussi à ce qu’elle incite les parents à se tourner davantage vers des contenants réutilisables et donc qu’il y ait une réduction des déchets associés aux lunchs. Étonnement, elle ne semble pas avoir eu une grande incidence à ce niveau pour le moment. En fait, ce qui semble avoir eu le plus d’impact sur le contenu des boîtes à lunch, c’est une autre initiative qu’on a mené : le défi boîte à lunch zéro déchet.

Comme le nom de l’événement semble l’indiquer, il s’agit d’une semaine durant laquelle on invite les familles à préparer des lunchs en utilisant des plats et des contenants réutilisables, de façon à éviter de produire des déchets. Les parents et les enfants veulent participer au défi et ça crée une bonne opportunité d’expérimenter avec de nouvelles façons de faire. Et c’est intéressant de voir des parents qui n’auraient pas nécessairement opté pour ces solutions-là; ils achètent deux ou trois aliments à mettre dans des petits pots et ils se rendent compte que ce n’est pas si difficile finalement.

SQRD : Tu mentionnais que pour le Défi boîte à lunch zéro déchet, les parents embarquent, mais les enfants aussi ont le goût de participer. Quelle différence ça fait d’avoir les enfants qui sont mobilisés? Et comment devrait-on s’y prendre pour faciliter l’engagement des jeunes selon toi?

Jenel : Ça fait une énorme différence! Quand les enfants sont impliqués dans un projet, quand ils investissent du temps et de l’effort pour le concrétiser, c’est nettement plus facile d’amener les parents à nous suivre. Dans certaines situations, les enfants peuvent également éduquer leurs parents en relayant des apprentissages qu’ils ont fait à l’école.

Je pense que les enfants sont vraiment des acteurs de changement. Plus qu’on pense, plus qu’on le réalise. Ils ont envie de faire une différence. Si on prend le temps de leur apprendre, ils ont véritablement la capacité de changer les choses.

Pour faciliter leur engagement, il y a deux grandes clés pour moi : bien choisir le langage qu’on utilise et favoriser le passage à l’action. Pour ce qui est du langage, je pense qu’il faut partir du principe que nos élèves ont une sensibilité envers leur environnement. En tenant compte de ça, j’essaye toujours de présenter les réalités environnementales de manière positive; je leur explique quelles sont les actions que l’on va mettre en place et en quoi elles seront utiles pour aider la planète.

Selon moi, il faut éviter les façons de présenter les choses qui sont anxiogènes ou culpabilisantes. Parce que, quand on devient anxieux, quand les enjeux deviennent trop grands, on fige comme un chevreuil sur l’autoroute. On ne fait plus rien. On se désengage. C’est vrai pour les enfants, mais c’est aussi vrai pour les adultes.

Le passage à l’action est directement lié au langage qu’on emploie. Les enfants aiment être en action. Quand ils le sont, ils sentent qu’ils ont du pouvoir sur ce qui les entoure et ça contribue à leur motivation. À-travers différents projets, qu’il s’agisse de sorties en nature ou de participation au potager de l’école, on veut amener nos élèves à développer une relation positive avec leur environnement. Parce que développer l’amour de ce que la nature m’apporte, c’est aussi développer le désir d’en prendre soin.

SQRD : Quand tu regardes ton parcours et que tu essaies de distiller les éléments qui sont les clés du succès selon toi, de quoi parle-t-on? Quels sont les leviers sur lesquels on doit absolument pouvoir compter pour mener des projets comme ceux que vous avez développé?

Jenel : Pour le milieu scolaire, c’est certain que ça prend l’appui de la direction. Il faut que les gens en place soient prêts à nous laisser investir du temps. Dans mon cas, je suis libéré à chaque semaine, mais il y a moyen aussi de donner des libérations ponctuelles pour permettre la coordination et l’organisation d’un projet. Il faut aussi avoir des alliés dans notre milieu sur qui on peut compter; ça prend des collègues qui veulent mettre l’épaule à la roue. Je pense que tout part de là.

C’est toujours possible d’avoir des personnes qui ont énormément d’énergie ou qui ont un groupe qui est vraiment partant pour faire un projet une année. Mais pour assurer que les projets durent dans le temps et qu’ils suscitent l’adhésion à l’échelle de l’école, ça prend quand même une équipe qui va être là pour nous appuyer, pour organiser des événements, pour mener des actions auprès des élèves. Bref, ça prend des alliés qui ont envie de participer

Pour résumer, je dirais que c’est important d’être bien entouré, parce que c’est en essayant de tout porter seul qu’on est le plus à risque de se brûler.